National | Par Didier Bouville

«L’élevage ovin est un bien public» (FNO)

Photo Actuagri

La crise du Coronavirus a révélé la fragilité de l’élevage ovin, l’une des premières victimes en France de la mondialisation des échanges. Interview de Michèle Boudoin (notre photo), présidente de la Fédéation Nationale Ovine (FNO).

– Vous aviez beaucoup de craintes sur l’écoulement des agneaux à la veille de Pâques. Leur commercialisation s’est-elle mieux passée que prévue ?

Michèle Boudoin : «Ce n’était pas une crainte que nous avions, mais une réalité. Quand le confinement a été annoncé à la mi-mars, nous avons eu très peur. Dans nos exploitations, les agneaux qui sont commercialisés à Pâques sont programmés huit mois plus tôt (cinq mois de gestation et trois mois d’engraissement) et ils constituent 60 % de nos débouchés annuels à l’occasion des quatre grandes fêtes des religions monothéistes, les Pâques chrétienne, juive, orthodoxe et le ramadan qui commence le 24 avril, cette année. L’interdiction des cérémonies religieuses, des regroupements familiaux et de la restauration hors domicile a été un vrai coup de massue. Avec l’appui de l’interprofession, nous avons réagi aussitôt et lancé une campagne de communication à la radio et sur les réseaux sociaux pour appeler les Français à continuer à consommer de l’agneau français. Certaines enseignes de la distribution ont emboîté le pas. Il faut reconnaître que le succès a été au rendez-vous sur les volumes écoulés. Mais nous avons perdu 1 €/kg sur le prix. Alors que, dans le même temps, les grandes surfaces ont maintenu leurs tarifs dans les rayons…

– N’auriez-vous pas pu retenir les animaux à la ferme ?

MB : Contrairement aux bovins, on ne peut pas stocker les agneaux en vif à la ferme. Quelques jours supplémentaires en élevage et ils prennent du poids, font du gras et sont déclassés en termes de qualité. Les prix sont plus faibles alors que dans le même temps les éleveurs subissent un coût supplémentaire pour les nourrir.

Stockage privé pour soutenir le marché

– Vous avez évoqué la mise en place d’un stockage privé…

MB : Nous demandons toujours la mise en place d’un stockage privé. Mais nous devons obtenir au préalable l’accord de Bruxelles et nous l’attendons toujours. Dans les circonstances actuelles, le stockage privé et la remise ultérieure sur le marché des carcasses présentent un certain intérêt dans la mesure où quelques groupes de restauration collective se sont engagés à inscrire l’agneau au menu des restaurants d’entreprise et des cantines scolaires à la rentrée. L’autre avantage que je vois au stockage privé est d’y orienter aussi la production des agneaux issus des bassins laitiers dont la production est estimée à 18 000 têtes/semaine jusqu’à la mi-juin et qui va arriver sur le marché et peser sur les cours. Cette opération de stockage présenterait également un autre intérêt, celui de sensibiliser les jeunes générations à la consommation d’agneau souvent délaissée, surtout après le choc que nous avons connu.

– Est-ce que la crise que nous vivons n’est pas l’occasion de revoir les contingents d’importation avec la Nouvelle-Zélande ?

MB : C’est un sujet qui nous tient à cœur et que nous évoquons au Copa/Cogeca dont je préside également le groupe ovin. Dans les années 1990, l’Union européenne a ouvert un contingent d’importation de Nouvelle-Zélande 228 000 tonnes équivalent carcasse. Ce sont des agneaux nourris à l’herbe dont le coût de production est extrêmement faible et qui arrivent en concurrence directe avec nos agneaux de bergerie que nous commercialisons à Pâques, dont le prix de revient est deux fois et demie plus élevé. Nous sommes victimes d’une concurrence déloyale extrêmement sévère. Pour nous, le Brexit devrait être l’occasion de rebattre les cartes et de réduire ce contingent. D’abord parce que les Néo-Zélandais n’honorent pas la totalité des volumes, environ 78 % à cause de la demande chinoise et ensuite sur la partie qui reste habituellement au Royaume-Uni. Cette renégociation du contingent devrait aussi être l’occasion de préciser la nature des viandes, si elles sont congelées ou fraîches et pour ce qui est considéré comme des viandes fraîches, le fameux « chilled », dire qu’il est conservé plusieurs semaines à 2 C ° dans de l’azote liquide, pour la bonne information du consommateur.

– Au-delà de la réduction du contingent ne faudrait-il pas redonner la priorité à la production nationale, voire européenne, comme le laissent penser les propos d’Emmanuel Macron ?

MB : Aujourd’hui, la France ne produit que 43 % de sa consommation. Notre pays qui comptait 10 millions de brebis au début des années 1980 n’en dénombre que la moitié désormais. La production s’est effondrée sous le coup de la concurrence déloyale et de la mondialisation des échanges. Alors que l’élevage qui se trouve à 85 % des zones défavorisées contribue, au maintien de territoires entiers où on ne peut pas faire autre chose. Sans lui pas de paysages, pas de biodiversité, d’activité économique, d’agroécologie, d’agroforesterie, de protection contre les incendies, d’entretien de l’espace et des pistes skiables… Grâce à la transhumance, le pastoralisme est aussi devenu un patrimoine culturel pour certaines régions. Bref, l’élevage ovin est un bien public que les responsables politiques devraient replacer au cœur des politiques publiques.

Loup : la cohabitation est impossible

– Sur ce point particulier, les éleveurs peuvent-ils vivre avec le loup ?

MB : Pour moi, la cohabitation telle qu’elle est préconisée aboutit à une impasse. Nous devons veiller et protéger nos troupeaux. On a multiplié par quatre les dépenses publiques de protection et d’indemnisation, de 9 millions à 36 millions d’euros en dix ans sans, aucun résultat. Le loup se sent protégé et s’en prend aux proies les plus faciles, les troupeaux ovins, plutôt que de s’attaquer à la faune sauvage. Je pense qu’il faut donner l’autorisation aux éleveurs de tirer pour que la peur change de camp. De plus en plus des scientifiques commencent à le dire».

Actuagri

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